
L’intervenant social d’un commissariat me contacte par courriel. Il me décrit le cas de Madame X, qui a porté plainte pour violences conjugales. Son conjoint, père de son fils adolescent, et dont elle s’est séparée, fait donc l’objet d’une procédure pénale. Cependant, à ce stade, ils gardent tous deux l’autorité parentale. Elle explique « qu’elle ne s’en sort pas » pour « cadrer » son fils lorsqu’elle en a la garde, et souhaite mettre en place une médiation avec son ex-conjoint pour avoir plus de soutien dans son rôle éducatif. Ce fonctionnaire de police ne m’envoie pas vraiment Madame X pour une médiation, il exprime sa perplexité : comment aider Madame X ?
Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Dans de nombreux récits de séparation conjugale conflictuelle que j’ai écoutés en médiation, un des conjoints parle de violences, souvent psychologiques, et parfois physiques. Pourtant le conjoint présumé violent conserve le plus souvent l’autorité parentale, ce qui rend nécessaire la poursuite de leurs interactions.
Une lecture stricte de la loi 2020-936 du 30 juillet 2020 conduit, pour les juges, à un refus de la médiation dès lors que l’un des conjoints mentionne une violence, même ancienne, quelle qu’en soit sa nature. Ainsi, au nom de sa propre protection, Mme X ne peut avoir accès à cette forme de soutien qu’elle recherche pour l’exercice de sa co-parentalité.
Cette logique qui se veut protectrice, peut paraître infantilisante. Elle est en tous cas contradictoire avec le principe de la médiation, qui vise à rétablir une capacité à décider et agir en dépit du conflit.
Je ne pense pas être le seul médiateur(ice) familial(e) à devoir faire face à cette contradiction. Aussi, je vous propose quelques réflexions, basées sur mon expérience de terrain, au sujet de cette loi, dont la bonne intention est évidente, mais qui peut poser problème.
Une loi simpliste ?
La lecture des comptes-rendus des débats à l’assemblée nationale, met en évidence un contre-sens sur le classement de la médiation parmi les MARD (modes alternatifs de règlements des différents) : « La médiation, alternative au règlement judiciaire du litige, pourra être écartée en cas de violences alléguées » déclare un député. Erreur ! La médiation familiale n’est pas simplement une alternative à la justice. Certes, elle peut parfois éviter la procédure judiciaire, mais elle agit surtout en complément du judiciaire, comme tous les JAF le savent parfaitement.
De plus, puisque l’allégation de violence suffit pour exclure la médiation, le professionnel (magistrat, avocat, médiateur, ...) n’a plus la responsabilité d’évaluer la pertinence de l’utilisation du mot « violence », dont la définition n’est d’ailleurs pas précisée. Ce flou conduit les institutions, et notamment la CAF, à des décisions binaires parfois inadaptées aux situations rencontrées.
Enfin, les députés ont laissé de côté la question de la parentalité du conjoint présumé violent, générant ainsi une certaine incohérence législative. En effet, un parent ne pourra pas se voir privé de son autorité parentale au seul motif de violences alléguées par son ex-conjoint(e). Par conséquent l’autorité parentale devra toujours être exercée « conjointement » (art. 372 du code civil), même pour les parents séparés (art. 373-2 du code civil).
Ainsi les ex-conjoints, qui ont l’obligation d’interagir pour cet exercice conjoint, ne pourraient pas le faire dans un cadre de médiation dont l’un des objectifs essentiels est précisément la sécurité (cf. livret « pratique éthique de médiation familiale », p10)
La sécurité au cœur de la médiation familiale
Le sentiment de sécurité est une condition de la liberté de s’exprimer. Il est donc un aspect fondamental dans la formation et les pratiques des médiateurs familiaux.
La préparation du DEMF [1]vise à acquérir, grâce à la complémentarité des enseignements théoriques et de l’expérimentation, une expertise du conflit. Le médiateur familial « mobilise des compétences adaptées aux situations de crise, au sein desquelles s'expriment fortement des affects, des tensions et des enjeux divers » (arrêté du 19 mars 2012).
Une médiation ne se met en place qu’après des séances d’information, le plus souvent individuelles. Pour ma part, au moindre doute sur l’existence de tensions qui pourraient nuire à la liberté de parole, j’exclus totalement l’idée d’entretien d’information commun.
Au cours de cet entretien, l’évocation de violences intrafamiliales est une alerte qui nécessite un approfondissement de l’entretien (type de violence, circonstances, fréquence, symétrie…). Il est également indispensable de vérifier comment la personne est soutenue (avocat, psychothérapie, association d’aide aux victimes…).
La peur de se retrouver en présence de l’autre constitue pour moi le principal critère d’exclusion, ou de mise en place d’une organisation spécifique (visio, médiation « navette » [2] …)
Marie, que je reçois en entretien d’information, m’explique avoir décidé de se séparer de son conjoint, Gilles, après avoir progressivement réalisé son état de soumission et de dépendance. Elle se décrit comme victime de violences psychologiques. Une thérapie lui a permis de repérer ce qui, dans cette relation, a pu appuyer sur sa mauvaise estime d’elle-même et contribuer à cet état de soumission. Aujourd’hui elle se sent prête pour parler avec son ex-conjoint et prendre des décisions concernant leurs enfants en « faisant entendre sa voix ».
A ce stade, il n’est pas du tout certain qu’une médiation pourra se mettre en place, en dépit de sa demande clairement exprimée. L’entretien avec Gilles pourra notamment permettre d’évaluer la place qu’il accorde au récit de Marie sur la violence qu’elle dit avoir subie. Certaines réactions, comme le déni avec accusation de mensonge, seront rédhibitoires. Le risque que Gilles puisse me berner par une performance d’acteur manipulateur existe théoriquement, mais compte tenu de notre formation, de la nature des échanges et du temps consacré à l’entretien, ce risque me semble réduit par rapport à la possibilité de manipulation de la procédure judiciaire.
En cas de doute, le processus de médiation pourra commencer par des entretiens individuels. Enfin, le recours à l’analyse de pratique permet de mobiliser des expertises complémentaires si le doute persiste et constitue une sécurité supplémentaire.
Alors, une loi inutile ?
Au-delà de son caractère simpliste et inadapté à la réalité des problématiques vécues par les parents séparés, la loi a le mérite de rappeler aux acteurs de la médiation leurs responsabilités face aux risques de répétition d’une violence déjà identifiée. Quelles sont ces responsabilités ?
· Pour les prescripteurs : la reconnaissance que la médiation familiale est un métier qui s’appuie sur des compétences spécifiques (que le DEMF permet d’évaluer) et des principes déontologiques clairement formalisés ;
· Pour les médiateurs : La prudence et le respect de ces exigences déontologiques, et en particulier, la formation continue et la participation à un groupe d’analyse de pratiques.
[1] Diplôme d’Etat de Médiateur Familial
[2] Une médiation « navette » est organisée sous forme d’entretiens individuels menés alternativement entre des personnes dont la mise en présence poserait problème
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